(FRENCH) De l’opposant politique à l’ingénieur, le profil des réfugiés syriens évolue

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(FRENCH) De l’opposant politique à l’ingénieur, le profil des réfugiés syriens évolue

Le Monde, 26 Sep 2015

URL: http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/art
Tous ne sont pas ingénieurs ou opposants au régime de Bachar Al-Assad. Encore moins les deux à la fois. Les Syriens réfugiés en France sont à l’étroit dans le portrait-robot qu’on pourrait dresser d’eux, même s’il contient sa part de vérité. « Le premier point commun, à mes yeux, entre les quelques centaines de Syriens que nous venons de ramener de Munich début septembre reste leur haut niveau d’éducation », pose d’emblée Mourad Derbak, le responsable de la division Europe et Moyen-Orient de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

« J’ai croisé là-bas beaucoup de jeunes diplômés d’écoles d’ingénieurs qui me parlaient de Total, de Schlumberger, et étaient très au fait de l’actualité du secteur pétrolier », ajoute-t-il, insistant aussi sur le nombre de « commerçants et d’artisans, parfois très réputés et bien établis dans leurs villes, qui ont tout abandonné pour fuir la guerre ». Ce qui fait dire à ce spécialiste de l’asile qu’« aujourd’hui, nous sommes dans un exode et voyons vraiment arriver la société civile syrienne ».

La surreprésentation des diplômés de l’enseignement supérieur dans cette population s’explique d’une part par le prix du voyage, qui cible les classes moyennes ou supérieures ; d’autre part parce que la société syrienne entretient historiquement un rapport spécifique à l’éducation. La chercheuse Elisabeth Longuenesse, de l’Institut français du Proche-Orient à Beyrouth, estime qu’en 1990, déjà, 21 % d’une classe d’âge fréquentait l’université. Ses travaux montrent aussi que depuis les années 1960, la formation des médecins et celle des ingénieurs a été particulièrement développée pour répondre aux besoins, certes, mais aussi car ces deux titres étaient socialement valorisés.

Vague technologique

Les données statistiques n’existent pas pour la France, mais en Allemagne, l’OCDE rappelle que 21 % des Syriens entrés entre janvier 2013 et septembre 2014 avaient fréquenté l’université… Michel Morzière, président d’honneur de Revivre, une association historique d’aide aux Syriens, observe de longue date cette surreprésentation intellectuelle : « Nous avons commencé dans les années 2000 à aider les victimes de la répression d’Hafez Al-Assad, et accueilli des dissidents qui avaient subi des peines de vingt, voire trente ans d’emprisonnement. Nous souhaitions les aider à se reconstruire. »

« Ces premières vagues de demande d’asile ont en effet concerné des opposants politiques qui avaient milité sous le père de Bachar Al-Assad, remet en perspective Mourad Derbak. Sont venus s’y ajouter, dès 2011 et le début de la guerre, une vague de jeunes blogueurs qui étaient à leur tour victimes de la répression. »

Ensuite, la vague technologique a laissé place aux « arrivées d’artistes, d’intellectuels, d’écrivains, d’hommes de théâtre ou d’acteurs », poursuit M. Derbak.

En 2011, la demande syrienne d’asile en France ne se situait qu’au 42e rang et représentait seulement 0,02 % des demandes déposées dans l’Hexagone. « Ce qui n’est pas une exception puisque, traditionnellement, les ressortissants du Proche et du Moyen-Orient demandent peu l’asile chez nous », rappelle M. Derbak. Même s’il n’a rien de commun avec les flux d’entrées que connaît aujourd’hui l’Allemagne, ce flot a ensuite crû pour atteindre 300 entrées individuelles mensuelles en France depuis cet été, rappelle-t-on à l’Ofpra.

Administrativement invisibles

Un total de 7 000 personnes ont ainsi été protégées depuis 2011. « La communauté franco-syrienne compterait quelque 20 000 personnes », ajoute M. Morzière. Mais le comptage n’est pas simple car, intégrés à la société française dont ils ont souvent pris la nationalité, les anciens réfugiés sont devenus administrativement invisibles.

Les 30 000 demandeurs d’asile, parmi lesquels une majorité de Syriens, que le chef de l’Etat s’est engagé à accueillir pourraient entraîner d’autres arrivées et diversifier les profils, puisque le statut de réfugié autorise à faire venir sa famille. Or les 600 personnes « recrutées » à Munich par l’Ofpra étaient majoritairement des hommes seuls, plutôt jeunes. Ceux qui sont mariés n’ont pas tous voulu faire subir les dangers du voyage à leur famille. Aussi, nombre de femmes et d’enfants attendent dans les camps en Turquie ou ailleurs.

En parallèle à cette opération très médiatique, l’Ofpra est allé au Liban, en Jordanie ou en Egypte chercher 450 personnes qualifiées de « vulnérables » par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés. « Des gens en mal de soins, des blessés, des victimes de maladies chroniques qui ont été contraints à arrêter les traitements », observe Mourad Derbak. Un public assez différent de celui qui arrive individuellement, mais dont le dossier sera aussi étudié par les services de l’Ofpra.