Retour à Tombouctou

...

Retour à Tombouctou

Kora UNHCR, 18 Jan 2016

URL: http://kora.unhcr.org/return-timbuktu/
Histoire d’exil et de retrouvailles pour les réfugiés maliens

Il y a quatre ans éclatait un conflit au nord du Mali, opposant forces gouvernementales et mouvements rebelles, forçant des dizaines de milliers de personnes à trouver refuge dans les pays voisins. Aujourd’hui, si plus de 140.000 Maliens sont encore en exile au Burkina Faso, en Mauritanie et au Niger, certains réfugiés décident de rentrer dans leurs villages et villes, situés dans des zones où la sécurité a pu s’améliorer au cours des derniers mois. C’est le cas de Tony et de sa famille, qui ont récemment quitté le camp de réfugiés de Mentao au Burkina Faso.

TOMBOUCTOU, MALI, 18 janvier 2015 - (HCR) – La fin de journée est fraîche et calme, idéale pour un thé vert entre amis. Tony, jeune malien d’origine touareg de 24 ans, savoure cette boisson sahélienne avec un ami dans une cour de l’un des nombreux quartiers périphériques. Cela fait à peine un mois qu’il a rejoint Tombouctou, aussi connue comme « la perle du désert », dans cette région aride du nord du Mali.

« Je viens de la ville de Gossi, qui fait partie du cercle de Tombouctou. C’est ma région natale. J’y ai passé mon enfance avant de partir en 2008 vers Gao pour y poursuivre mes études. A Gao, Tony étudiait les lettres. « J’étais très à l’aise en français, c’est donc tout naturellement que j’ai voulu passer un baccalauréat en littérature. » Au lycée, il apprenait vite et avait donc du temps pour d’autres activités. « A côté de mes études, j’étais chauffeur indépendant pour le compte de touristes et d’organisations non-gouvernementales (ONG) de la région. Grâce à cela, je payais mes frais de scolarité et je pouvais pourvoir aux besoins de ma famille. »

"Je savais que je devais quitter le pays par tous les moyens"

Début 2012, alors qu’il entame son année pour obtenir le baccalauréat en juin, il doit revoir ses plans à cause de la guerre qui éclate au nord du pays. "Dès que la guerre a commencé, je ne me suis plus senti en sécurité chez moi. Je savais que je devais quitter le pays par tous les moyens". Il a alors 20 ans, et parvient à rejoindre Niamey, la capitale nigérienne, en voiture.

La route vers le Niger est celle qui lui parait alors la plus rapide et la plus sécurisée. Mais lorsqu’il prend des nouvelles de sa famille, Tony comprend qu’il ne restera pas longtemps à Niamey. "Quand j’ai appelé mes parents, j’ai appris qu’ils venaient de fuir vers le Burkina Faso. Après deux semaines à Niamey, je suis parti les rejoindre". Il prend alors un bus de Niamey pour Ouagadougou, la capitale burkinabè, où il arrive après dix heures de trajet. "Le HCR a ouvert un camp à 18 kilomètres de Ouagadougou, pour assister les réfugiés maliens. Là-bas, j’ai retrouvé ma famille, et nous y sommes restés jusqu’à sa fermeture". Le camp de Sag-Nioniogo accueillera jusqu’à 2 813 réfugiés maliens, avant de fermer début 2015 pour des raisons budgétaires.

Les réfugiés maliens qui souhaitent continuer de bénéficier de l’assistance du HCR sont alors relocalisés dans l’un des deux camps de leur choix situés dans la région du Sahel, au nord du Burkina Faso. "Nous avons choisi le camp de Mentao, car nous y connaissions plus de mode", explique Tony. Ce camp, situé à quelques kilomètres de la ville de Djibo et à une cinquantaine de kilomètres de la frontière malienne, compte aujourd’hui quelque 13 000 réfugiés maliens. Le HCR assure leur protection légale et leur fournit un accès aux services de base (eau, éducation, santé, Gabri). Depuis 2014, l’agence facilite le départ des réfugiés maliens qui souhaitent retourner dans leur pays d’origine. Ils reçoivent 35 000 Francs CFA (70 USD) par individu pour les aider à organiser leur transport vers le Mali, la plupart de temps par camion ou voiture.

"Ce que je retiens de ce périple ? La sécurité est tout ce qui compte"

Dans le camp de Mentao, Tony a trouvé la sécurité mais également l’amour et l’amitié. "J’ai rencontré ma femme Zeinabou dans le camp, et nous nous y sommes mariés. C’est également ici qu’est née notre fille, Fadimata" précise –t-il. "Au moment de quitter le camp pour le Mali, j’étais angoissé. Pas seulement parce que je prenais une route inconnue, mais aussi parce que je ne voulais pas laisser derrière moi une partie de ma vie, des proches et des amis. Nous étions très soudés et la cohabitation était bonne. Mais nous voulions plus que tout retourner au Mali, et nous avons emmené mon neveu avec nous, Sidi, que je considère comme mon fils".

Pour Tony et ses proches, c’est la joie qui domine à leur retour à Tombouctou. "Quand je suis parti du Mali, c’était le chaos. A mon retour, j’ai trouvé une ville qui a repris ses activités économiques. Les forces de sécurité nationales et internationales sont présentes, ainsi que les humanities", affirme Tony, pour qui la situation qu’il découvre dans sa ville d’origine n’est pas une surprise. "J’avais des informations depuis le Burkina Faso. J’étais en contact permanent avec les membres de ma famille qui étaient restés au Mali".

Gossi, Gao, Niamey, Ouagadougou, Sag-Nioniogo, Mentao, Tombouctou… Une aventure qui aura duré presque cinq ans, et qui aura forgé le caractère et la philosophie du jeune homme. "Ce que je retiens de ce périple ? La sécurité est tout ce qui compte. C’est l’insécurité qui nous a fait quitter le Mali. C’est la sécurité que nous avons cherché au Burkina Faso. Nous l’avons trouvée dans les camps de réfugiés. Et c’est parce que je savais que Tombouctou était à nouveau mieux sécurisée que nous avons décidé d’y retourner avec ma famille".

Si des familles maliennes choisissent de rentrer spontanément au Mali de leur exil dans les pays avoisinants pour regagner leur région d’origine – plus de 800 rapatriés ont été vérifiés par le HCR au cours des six derniers mois - la situation sécuritaire dans le Nord du Mali demeure néanmoins volatile. Si le conflit qui a secoué la Mali a officiellement pris fin avec la signature de l’accord de paix les 15 mai et 20 juin 2015, les attaques terroristes et criminelles, ainsi que les violations des droits humains persistent. De plus, l’accès à certaines zones de retour reste ainsi un défi pour les organisations humanitaires.

Et alors que certains réfugiés, comme Tony, retournent vers leur région plus sécurisée, d’autres continuent de fuir des situations instables et de trouver refuge au Burkina Faso, en Mauritanie ou au Niger. Plus de 4 300 Maliens ont ainsi quitté le Mali depuis juillet 2015 pour trouver refuge au Niger. Plus de 3500 Maliens sont arrivés au Burkina Faso entre janvier et novembre 2015, fuyant de nouvelles violences au nord de leur pays.

Quelque 40 700 réfugiés maliens sont revenus chez eux suite à leur exil

Tony et sa famille ont désormais réintégré leur communauté d’origine à Tombouctou. "J’ai retrouvé mes voisins sur place, tout se passe bien avec eux ", se réjouit-il. "La famille commence à se réunifier avec le retour des parents du Burkina Faso". En revanche, la préoccupation majeure de ce chef de famille demeure le manque d’emploi pour subvenir aux besoins du foyer. D’autant qu’il a retrouvé sa maison saccagée et détruite par manque d’entretien. Les biens personnels laissés lors de leur fuite ont été volés. Mais Tony a maintenant l’esprit tourné vers l’avenir. "Nous sommes en train de la réhabiliter petit à petit".

L’accès limité à l’eau potable et à la nourriture dans certaines zones, le prix élevé des biens de première nécessité, ainsi que l’accès limité aux services administratifs et sociaux de base dans certaines localités, engendrent des retours jusqu’à présent timides de réfugiés. Selon les autorités maliennes, quelque 40 700 réfugiés maliens sont revenus chez eux suite à leur exil au moment de la crise qui a secoué le Mali en 2012. Plus de 17 000 de ces retournés ont d’ores et déjà été vérifiés par le HCR. La plupart sont rentrés dans les régions de Gao, Mopti et Tombouctou.

Dans les zones de retour, le HCR met en œuvre des projets communautaires de réintégration dans un certain nombre de communes prioritaires, telles que Goundam, Gossi, Léré, Soumoundou, Tilemsi et Tombouctou. Ces projets d’appui aux infrastructures contribuent à améliorer l’accès à l’éducation, la santé, l’hygiène et l’eau. Ils visent aussi bien les rapatriés que les populations qui étaient restées sur place dans un souci de coexistence pacifique. Le HCR vient aussi de clore la phase pilote d’un projet d’assistance financière aux rapatriés. Au total, en novembre et décembre 2015, 4 307 rapatriés ont reçu la somme de 110 USD par adulte et 50 USD par enfant, dont 1 492 à Tombouctou. Cette assistance leur a permis de redémarrer une vie digne dans leur zone de retour et a amélioré les moyens d’existence des familles.

De retour chez lui, Tony a désormais de nombreux projets. Il souhaite passer le baccalauréat en candidat libre puis intégrer l’administration malienne ou une ONG internationale. « Avec mon niveau du lycée et l'expérience acquise au camp, je compte travailler dans l’humanitaire. Mais je n’ai plus de contact particulier à Tombouctou, j’aurai des difficultés à trouver un emploi si je ne décroche pas un diplôme à la hauteur de mes compétences. En attendant, je dois couvrir nos frais. Mes deux enfants sont réinscrits à l’école, nous avons un loyer et des charges. Tout travail me conviendrait dans l’immédiat. » Un revenu régulier lui permettrait de financer également la poursuite des études d’infirmière de sa femme.

140 776 Maliens sont encore réfugiés dans les pays voisins dont 34 221 au Burkina Faso, 50 228 en Mauritanie et 56 012 au Niger. 61 920 personnes sont toujours déplacées à l’intérieur du Mali.

Isabelle Michal and Paul Absalon